Autour de la musique de 100 miniatures, par Bruno Gillet.

A travers l’écoute de 4 extraits sonores d’œuvres de Bruno Gillet.

 

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Une approche de l’univers musical de 100 miniatures  par  BRUNO GILLET (né en 1936), voici cinq extraits :

Chansons de Robert Desnos (Florence Person, soprano)

Chansons de Robert Desnos (Florence Person, soprano)

L’Ondine dans son étang, début. (Texte : Florence Delay, Elise Caron, soprano)

Pôle nord, pôle sud (texte : Jacques Duquennoy, Axel Boguslawski, récitant)

Diminuendo, début. (Texte: Georges Perec, Christiane Legrand, soprano, Ward Swingle, baryton)

 

La plupart du temps, toute pièce écrite pour la voix s’appuie sur un texte. Mais tel texte n’impose pas forcément tel ou tel usage de la voix : le compositeur est libre en effet de donner la priorité soit à la compréhension du texte, soit à l’intérêt mélodique de la partie vocale. L’opéra classique et l’oratorio mettent bien cette différence en lumière lorsqu’ils font alterner « récitatifs » et « airs », alors que des auteurs comme Wagner, Moussorgsky ou Debussy s’efforcent, à mi-chemin entre ces deux extrêmes, d’en pratiquer la synthèse, au nom du « naturel », et dans un but de continuité du discours musical.

Aux antipodes du monde de ces grands auteurs, on pourra déjà remarquer que les textes sur lesquels s’appuient les quatre extraits ci-joints sont évocateurs surtout du familier, de l’intime, du quotidien de chacun, tel qu’il apparaît dans la vie de tous les jours aussi bien que dans les contes populaires (voir les textes de Robert Desnos comme celui de l' »Ondine » ré-écrit d’après les frères Grimm par Florence Delay).

 

On distinguera ensuite trois façons bien différentes de faire entendre le texte :

– Dans les deux « Chansons » de R. Desnos (avec alto et piano) aux textes pseudo-populaires, c’est l’intérêt mélodique, genre romance, qui est privilégié (pour la voix comme pour l’alto d’ailleurs), plus « conducteur » que les images très discontinues, très éclatées, presque surréalistes des vers. Moins mélodique, plus proche du récitatif est la rêverie de la seconde « La reine couchée dans son lit »

– Dans l' »Ondine dans son étang », un conte aux multiples épisodes, le texte est par contre prépondérant : il s’agit avant tout de raconter une histoire, et naturellement le résultat est un très long récitatif (on n’en entend ici que le début) où la narratrice infatigable met autant de passion dans son récit que les personnages évoqués dans leurs aventures

– Enfin, dans « Pôle nord, pôle sud », courte musique écrite pour un film d’animation destiné aux enfants, seule intervient une voix parlée,  accompagnée par deux clarinettes. C’est un exemple très simple de ce qu’on appelle un « mélodrame », c’est-à-dire, au sens propre du mot, une récitation accompagnée de musique. Le genre a été peu pratiqué, sauf à l’époque romantique (magnifiques exemples toutefois dans les opéras de Weber), notamment avec accompagnement de piano, dans un répertoire « de salon ». Au XXe siècle, « Pierrot lunaire » ou l' »Ode à Napoléon » de Schoenberg sont intégralement des mélodrames… mais le rythme et surtout les hauteurs suggérées à l’interprète en font des œuvres presque chantées. L' »Histoire du soldat » de Stravinsky utilise bien uniquement la voix parlée, mais surtout en alternance avec de très importants épisodes instrumentaux, la superposition des deux étant rare.

 

Il convenait d’insister quelque peu sur cette notion de mélodrame, puisque mon ouvrage « 100 », qui doit être prochainement représenté, en est typiquement un. Racontée par Philippe Minyana en cent petits paragraphes, la chronique au jour le jour de la vie ordinaire de gens très ordinaires dans la banlieue très ordinaire d’une grande ville du nord… y est intégralement parlée, même si par moments intervient un quatuor vocal ; mais son rôle est presque toujours de faire entendre une annonce ou un écho du texte parlé. En contrepoint avec les voix, un tout petit ensemble instrumental rassemble les timbres, familiers entre tous, du violon, de la guitare, de l’accordéon et du piano… dans une musique toutefois, qui est typiquement d’aujourd’hui et n’offre que peu de ressemblance avec celle des « variétés » d’antan.

 

Si « 100 » parle spécifiquement des gens ordinaires, pour ne pas dire des pauvres ou des « laissés pour compte » de la société d’aujourd’hui, « Diminuendo », écrit quarante-quatre ans plus tôt sur un texte demandé à Georges Perec (qui était déjà l’auteur de « Les choses ») donne la parole, chantée cette fois-ci, à un couple (en fait, un ex-couple) emblématique de l’intelligentsia parisienne post-soixante-huitarde, chacun étant fort embarrassé, devant une tasse de thé, de n’avoir plus rien à dire à l’autre, sinon les banalités à la mode, encore largement redevables à la « société de consommation ». Fort à la mode d’alors, il faut bien le reconnaître, est aussi l’ambiance instrumentale entourant le murmure des deux personnages : piano, harmonium et percussion où domine le marimba, y sonnent un peu comme dans un concert du « Domaine musical » de cette époque… Je ne m’en plains pas, bien au contraire, d’abord parce que j’aime toujours cette partition (et ses interprètes si représentatifs de leur époque) et secondement, parce que si sa musique reflète aussi fidèlement que son texte une certaine société d’alors, elle est aussi, peut-être, un témoignage à valeur historique. Aussi m’arrive-t-il souvent de rêver au relief que prendraient côte à côte ces deux ouvrages : « Diminuendo » qui parle des riches, et « 100 » qui parle des pauvres… Mais une telle conjonction ne serait à vrai dire qu’un prétexte. Dans les deux cas, l’essentiel ne saurait être autre que l’attention et la tendresse portées tout simplement à la voix humaine.